Ma naissance
Elle avait refusé d'aller aux urgences lorsque le moment fut venu pour elle d'enfin m'expulser de ses entrailles que je squattais depuis près de neuf mois maintenant. Son mari avait tempêté, hurlant qu'elle n'avait jamais pris que des risques pendant sa grossesse. Comme si elle avait voulu que le pire arrive … Ce qui, à bien y réfléchir maintenant, était certainement le cas. Celle qui me donna la vie ne me désirait pas. Des enfants, elle en adoptait et en élevait comme certaines aiment à collectionner les paires de Louboutin mais, la seule à être issue de ses chairs, elle ne l'avait jamais voulue ni encore moins aimée. Et, jusqu'au bout, je suis persuadée qu'elle avait espéré, jusqu'à ce que ce médecin appelé en urgences par son époux n'arrive, que les choses se passent mal et que je périsse avant même d'avoir vu le jour.
Mais il semblerait que la
mauvaise graine comme elle ne cessera de m'appeler ensuite, a la vie dure et j'étais un bébé potelé et fermement accroché à la vie. L'accouchement fut long et pénible à ce que j'en appris par la suite. Plus de dix heures de travail. Et tout autant de beuglements de sa part, elle qui ne désirait pas me voir paraître, elle qui avait sûrement fermé les yeux et clos ses tympans quand, enfin, l'air était venu douloureusement emplir mes poumons. Elle ne me voulait pas et ne voulut pas même me prendre dans ses bras. Mes premières minutes sur terre je les passais dans les bras de cet homme médecin qui fut celui qui me lava, m'emmaillota et me donna mon premier biberon pendant que mes
parents réglaient leurs différents à coups de disputes et de noms d'oiseaux.
Dans le genre arrivée sur Terre on pouvait faire pire mais, avouez, on est aussi en droit d'espérer mieux !
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A la découverte de ma famille,
Il paraît que l'on n'a pas de réels souvenirs de son existence avant que l'on ait atteint l'âge de cinq ans. Et, pour ma part, cela n'est pas tout à fait vrai. Il m'arrive d'avoir comme des flashs, des réminiscences de cette époque où je vivais vraiment chez ceux dont je porte le nom. Pas de réels souvenirs, je l'admets, mais des images, des sons et des odeurs. Juste des impressions. J'aurais aimé pouvoir dire qu'elles étaient bonnes mais elles ne le furent jamais. Et, quand je songe à mon enfance pourtant dorée en apparences, je n'éprouve que trouble et angoisse.
Je revois le Manoir et le nombre incalculables de pièces qui le composent. Je revois cette femme qui ne me prenait jamais dans ses bras et ne m'accordait de regards que pour mieux me fusiller et m'offrir son mépris et son dédain à défaut de cet amour qu'elle avait visiblement décidé de me renier. Son époux, lui, n'avait que peu de temps pour moi mais je le revois clairement venir me voir et, même, me bercer le soir quand la nourrice employée pour me garder s'en était allée se coucher. Il me parlait et apaisait mes peurs. Il me semblait gentil. Et sans doutes l'est-il. Dommage qu'il soit si lâche et pleutre devant sa femme. Sinon il aurait pu être un homme bien et non pas ce pantin vulgaire et grotesque entre ses mains !
Il y avait ces autres enfants. Ces garçons qui, eux, avaient le droit à ses sourires, à ses caresses et à toutes ses attentions. Ils étaient déjà adolescents, ressemblaient déjà à des petits hommes et ils étaient donc mes frères. Nous n'avions pas le même sang mais portions parfois le même nom. Et, comme quoi le monde tourne bien à l'envers, ils étaient bien plus ses enfants à elle que je ne l'ai jamais été et ne le serais jamais. Triste ironie ? Non, la réalité était bien plus sordide encore mais je n'étais alors qu'un gros bébé joufflu et je n'aurais jamais pu imaginer ce qui se tramait sous mes yeux encore si purs.
D'ailleurs, à bien y réfléchir, si le choix m'avait été donné j'aurais préféré ne jamais savoir. Non, jamais.
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Lorsque la Vérité paraît elle fait mal !
Dès que je fus en âge de parler et de poser des questions, elle décida qu'il était temps pour moi d'être éduquée. Et, non, elle ne parlait pas seulement de mon instruction scolaire. D'ailleurs, des écoles, j'en connus tant et tant que j'en ai oublié le nombre ! Depuis la crèche, jusqu'à cette école primaire qu'elle me dégota bien loin de chez elle, je devins une nomade étrange. Brinquebalée de nourrice en nourrice, d'école en école, je m'efforçais de grandir sans repère ni chaleur familiale pour m'accueillir lorsque je revenais, plus en invitée tolérée qu'en fille de la maison, dans ce manoir que je peine aujourd'hui encore à appeler ma maison.
Honnêtement, cela ne me dérangeais pas de ne jamais être chez eux. De toutes façons, que j'y sois ou non, cela ne changeait pas grand chose. Ni pour eux ni pour moi. Ils feignaient de m'accorder temps et attention mais si j'avais disparu je pari qu'ils ne l'auraient pas même remarqué ! Je n'étais pas leurs fils ! Et puis ils avaient même fini par adopter une autre petite fille, Charlotte. Elle avait quatre ans de plus que moi et, elle, je l'aimais bien. Elle était un peu sauvage et, chose que nous avions en commun, Lady O' ne l'aimait pas. Etrange tiens... Je n'ai jamais pu appeler ma mère
Maman... Révélateur je pense. Bref, ce fut Charlotte qui, involontairement, me permis de découvrir la vérité. Et celle-ci était vraiment très laide !
Charlotte avait onze ans et cela m'en faisait donc sept à moi. Elle venait de rentrer de ce Lady O' appelait un voyage de santé et je me réjouissais de la voir. J'avais faussé compagnie à ma nourrice pour venir accueillir ma sœur comme il se devait mais je fus stoppée nette dans mon élan innocent lorsque je vis Lady O' en sa compagnie. Comme toujours entre elles le ton montait et les mots peu aimables fusaient de part et d'autres. Je savais que j'aurais du m'enfuir et retourner jouer dans ma chambre mais je ne le pus pas. Quelque chose me retenait. Et c'est là que j'entendis ce que je n'aurais jamais du entendre et que je vis ce que je n'aurais jamais du voir. Ce qu'elle avoua a Charlotte. Sur ce qu'elle lui avait fait subir et sur ce qu'elle faisait subir aux autres. Je n'avais que six ans mais, même si je ne comprenais pas tout, je savais que c'était mal. Très mal. Et ce qu'elle fit ensuite à Charlotte m'arracha un hurlement d'horreur. Et fit remarquer ma présence.
Dommage pour moi. Le peu de féerique qu'il y avait encore dans mon enfance s'évapora ce jour-là. Et, plus jamais, elle ne me permit de l'approcher ni encore moins de lui parler. Et j'étais prévenue. Si jamais je racontais à quiconque ce que j'avais découvert alors elle me ferait subir ce qu'elle faisait à Charlotte. Et cela me fit peur. Et, même des années plus tard, c'est aussi pour cela que je ne dis rien. La peur est une garce qui vous tétanise et vous pousse à la pire des inactions. Je hais la peur. Non, la peur me terrifie ce qui est pire encore. Je suis lâche je pense. Ou juste une enfant ? Peut-être bien en effet.
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Mais je suis qui moi en fait ?
Charlotte avait disparu du jour au lendemain et je ne l'avais jamais revue. Lady O' avait hurlé à s'en péter les cordes vocales pendant des semaines mais, malgré sa fureur, elle n'avait à aucun moment prévenu les autorités pour signaler la disparition de ma sœur. Son mari avait pourtant bien tenté d'intercéder, arguant que la petite lui manquait, à lui, mais rien n'y avait fait et ma sœur avait été comme gommée du tableau de notre si parfaite petite famille. D'ailleurs elle fut très vite remplacée par un autre frère. Encore un. Et, cette fois, je savais ce qui l'attendait … Et je commençais à ruer dans les brancards moi aussi ! A l'instar de mon aînée, je commençais à tenter de protéger celui qui n'avait pas la moindre petite idée de l'enfer qui serait le sien si jamais il demeurait entre ces murs. Et bien que mes techniques d'intimidation furent maladroites elles parvinrent au moins à faire sortir de ses gonds celle qui, lassée mais plus encore à deux doigts de me tuer j'en suis certaine, m'envoya croupir dans des pensionnats où je pris un malin plaisir à ma faire renvoyer aussi souvent que je le pus J'étais douée à ce jeu-là et l'idée de taper sur le système du monstre qui me servait de mère ne me rendait que plus appliquée encore !
Pourtant, alors que je vais fêter mes quinze ans, un homme est venu me chercher dans ma dernière prison dorée en date. Ma mère me veut auprès d'elle. Quelle bonne blague ! Subits remords ? Si seulement ! Mais, non, je n'étais pas dupe. Lady O' me voulait près d'elle pour deux raisons. La première étant sans doutes cette missive que je lui avais envoyée et dans laquelle je lui apprenais avoir découvert la vérité sur mes origines. Lord O'Brian n'était pas mon père. Et, quelque part, j'en fus soulagée. Même si, et pour le coup, une énigme s'offrait à moi : de qui étais-je la fille ? Je lui avais appris mon intention de résoudre ce mystère et je la prévenais que si jamais elle tentait seulement de m'en empêcher, alors je parlerai et ferai en sorte que tous ces crimes, et je les savais nombreux, lui explosent à sa face de rat ! Ce qui, évidemment, devait être très loin de lui plaire ! Elle voulait me faire taire ? Bon courage à elle alors !
Mais, alors que je rentre chez elle, je sens qu'il y a autre chose. Me garder enfermée loin d'elle lui aurait assuré que jamais je ne puisse retrouver mon père. Me ramener ici était prendre un risque et, cette erreur, Lady O' ne la commettait jamais ! Alors pourquoi ? Pourquoi me faire revenir ? Je l'ignore encore mais je sais d'ors et déjà que cela ne me plaira pas Tant pis ! Je ferai avec. Et puis, quitte à être là, je vais en profiter pour enquêter sur mon père. Le vrai. Je suis douée pour fouiner. Plus tard j'en ferai peut-être bien mon métier. Pourquoi pas flic ? Ou journaliste ? Cela me plairait bien d'être journaliste tiens... Etrange ? Peut-être pas.
Attention Papa, ta fille arrive et ça va faire mal !!!