20 ans et 2 jours
CassandreLe bar est comme toujours bondé et je laisse mon regard se perdre sur cette foule anonyme que je méprise peut-être encore ce soir-là. Je suis de mauvaise humeur et ne cherche pas même à le cacher à ces êtres qui se pensent mes amis et que j'ai traîné en ce lieu comme je l'aurais fait de mes chiens. Si j'en avais eu bien évidemment mais je ne supporte pas la compagnie des animaux plus longtemps que je ne supporte celle des hommes... Ils rient, sourient, me taquinent et s'inquiètent de mon humeur morose. Je darde sur eux mon regard froid et leur adresse un sourire sibyllin. Je ne leur répondrais pas et ils le savent. Je n'ai jamais compris leur insistance à vouloir percer ce qu'ils nomment avec effronterie mon énigme. Pas plus que je ne comprends leur besoin, presque viscéral, de me fréquenter.
Pour eux je suis Cassandre, jeune fille de si bonne famille qui aime à se complaire dans la plus parfaite des oisivetés. Je dépense mon argent aux quatre vents, enivrant leurs palais, leurs cœurs, leurs corps parfois aussi pour mieux me repaître de ces âmes qu'ils m'offrent sans même seulement le réaliser. Ils pensent prendre, me dépouiller mais, en réalité, de voleuse ici, il n'y a guère que moi. Ou presque. Mon regard s'illumine une seconde, une seule, alors que je l'aperçois. Il est là lui aussi, entouré de sa cour comme je le suis de la mienne. Il rit et palabre, fidèle à cette image que j'aime à conserver de lui. Et peu importe bien que tout ceci ne soit que poussières d'illusions, que faux-semblants et tromperies. A ce jeu là nous nous valons. Il ment comme un arracheur de dents ? Je mens comme je respire.
M'arrangeant pour me pendre au bras au plus présentable des cavaliers présents je délaisse avec lui ce groupe qui, déjà, me lasse et je rejoins ce salon où je prends place dans l'un de ces confortables fauteuil où je me prélasse avec langueur et sensualité. Mon compagnon du moment, persuadé d'avoir l'ombre d'une chance qu'il n'aura cependant jamais me couve de regards de poisson frit et je ne peux m'empêcher de penser qu'il en a aussi l'odeur. Je garde pour moi mon dégoût et le repousse d'une minauderie avant que de lui réclamer un cigare qu'il m'offre non sans me gratifier d'un discours moralisateur qui m'arrache un soupir d'agacement. Mon verre d'alcool dans une main, mon cigare dans l'autre, je me perds un instant dans mes pensées.
Puis, sans prévenir je me lève et de ma démarche aussi assurée que féline je rejoins cet endroit où je le vois se tenir. Il n'est rien pour moi. Si ce n'est peut-être l'être que je trouve le moins méprisable au monde. Ce qui, de ma part, est déjà impressionnant. Sans même le saluer ou me perdre dans des effusions que je juge aussi hypocrites qu'inutiles je fais mine de demander un cocktail au barman. Pendant que celui-ci se retourne pour me le préparer, je glisse furtivement ma main sur le zinc et fait glisser vers lui un parchemin plié. Ce qu'il m'avait demandé. Ces renseignements pour lesquels il m'avait payée. Business is business. Le plaisir là-dedans ? Je ne donne jamais vous vous souvenez ? Pas même à lui. Surtout pas à lui. Si nous devions encore nous retrouver au lit -ou contre un mur allez savoir- lui et moi, je n'en serais certainement pas l'instigatrice. Pas ce soir du moins. Le barman me tend ma consommation avec un regard libidineux qui m'amuse. Je le remercie sans oublier de minauder et , me retournant alors, le regardant dans les yeux pour la première fois, je fais tinter mon verre contre le sien
Aux plaisirs interdits et immoraux. Puis je m'éloigne déjà, riant doucement. Alors que mon cavalier revient et passe un bras possessif autour de ma taille je passe mon regard par dessus mon épaule et je lui adresse un sourire amusé. Finalement peut-être bien finirai-je la nuit avec lui. Ou du moins quelques heures. Oui, je le rejoindrais. Je rejoindrai Morphée.
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20 ans
AlexandraLe gâteau trône au milieu de la table et, dessus, scintillent vingt hideuses petites bougies. Mes lèvres murmurent et entonnent ce chant stupide sensé célébrer ce passage d'une année à une autre. C'est mon anniversaire, donc... Depuis quand est-il de bon ton, et de bon goût, de fêter les années qui nous rattrapent et nous poussent un peu plus vers cette vieillesse qui finira par flétrir ma peau si ferme, par la couvrir de tâches de vieillesse et par faire de moi une vieille peau immonde ? Je hais l'idée même de vieillir ! Je hais les anniversaires et je hais les gâteaux qui, si je me laissais aller à les dévorer, feraient enfler des bourrelets à ma silhouette si parfaite et ferme ! J'aime mon corps mais quoi de plus normal ? Je m'en sers comme un musicien se servirait de son instrument, usant du moindre de mes charmes incendiaires pour composer la plus envoûtante des partitions, faire s'élever dans les airs la plus sensuelle des mélopées, doux mélange de gémissements et de râles de plaisir...
Je soupire et regarde ce gâteau que j'avais presque pris plaisir à confectionner mais qui soulève le cœur maintenant. Je le prends et l'envoie valser contre le mur de ce lieu où je me terre pour cette soirée si spéciale. Pas envie de voir qui que ce soit. Je claque des doigts et mon elfe de maison arrive, toujours aussi insolent et effronté que moi. Il me fixe de ses gros yeux globuleux que j'arracherai volontiers et il le sait. Peut-être est-ce pour cela qu'il s'empresse de débarrasser ma cuillère, il sait trop bien ce que je pourrais en faire. Il m'a déjà vue à l'oeuvre. J'aime tuer mes victimes chez moi. Au moins pas besoin de me préoccuper de nettoyer derrière moi après, Luddy s'en charge très bien pour moi. Il me dit souvent que je suis un monstre et cela m'amuse. Bien évidemment que je le suis ! J'ai tout fait pour le devenir, pour me débarrasser, lambeau après lambeau, de mon humanité et m'éveiller enfin à la monstruosité qui est aujourd'hui mienne. Pourtant quand je daigne le lui confesser, là c'est lui qui se gausse. Tant que j'aurais un cœur alors je demeurerais quand même humaine. Il m'agace. Un jour je le tuerai lui aussi. Ou pas. Il est ma conscience.
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17 ans
CallistoJuste des gémissements et des râles de plaisir. Je sens sur moi peser le corps de cet homme qui s'est offert, pour son anniversaire d'après ce qu'il m'a dit sans cesser de loucher dans mon décolleté, mes si onéreux et peu chastes services. Je l'avais écoutée, feignant à la perfection de m'intéresser à ces propos dont je me serais bien passée. C'est son anniversaire à ce type plutôt mignon au demeurant ? Amusant c'est aussi le mien et je me souviens d'avoir esquissé un sourire espiègle en songeant que, s'il était venu au club la veille seulement, il se serait offert une pute mineure ! Peut-être cela l'aurait-il excité plus encore et peut-être aurait-il redoublé d'ardeur dans ces coups de reins dont il me gratifie non sans oublier ces mots crus que, comme bien des hommes, il aime à laisser se déverser de ses lèvres crispées par l'effort. J'ai toujours trouvé cela amusant ce besoin que mes clients avaient de tenter de m'abaisser, de m'avilir en me ramenant à cette condition de prostituée. Comme si je n'étais qu'une victime de ce commerce de la chair dans lequel, bien qu'ils ne pourront jamais le comprendre, je m'épanouis. J'aime baiser. Et j'aime l'argent. Ou, plutôt j'aime les en dépouiller. Pour jouer, pour m'amuser, pour les toucher là où ça fait mal. Alors les en délester tout en leur ravissant une jouissance que je sais mieux que quiconque provoquer, quel pied !
Le sexe, sentir cette odeur de stupre flotter dans l'air... La sueur dégoulinant sur nos corps à présent alanguis l'un contre l'autre. Lui est aux anges, moi... je m'ennuie déjà. J'aimerais qu'il parte. Non pas que je me sente sale, très loin de là même. Mais je suis lassée, blasée. J'ai joui mais reste quand même sur ma faim. J'en veux plus et je me languis d'aller trouver un autre client pour me défouler, laisser se déverser ces pulsions que j'aime pousser à leur paroxysme avant de les faire éclater avec sauvagerie et sensualité. Mais lui parle, bavasse, palabre... Il a joui dans ma bouche et, avec sa semence, c'est sa bestialité que j'ai avalée, laissée glisser le long de ma gorge pour mieux me nourrir. Maintenant il n'est plus qu'un homme méprisable qui me parle de sa femme, de ses enfants... Qu'il trompe et il s'en veut. Pas moi. S'il n'assume pas je ne le ferais certainement pas à sa place ! Même si je le feins à la perfection. Après tout c'est aussi pour cela qu'il me paye, non ? Faire exulter son corps et, une fois le pêché originel accompli, le laver de ses pêchés et de sa culpabilité.
Ainsi soit-il et Amen !
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14 ans
MégaraLa France... Tant de monde en vante la beauté, l'élégance de ses femmes et la gastronomie de leur table... Si l'on veut. Personnellement je n'aime pas ce pays et encore moins cet affreux pensionnat sorcier où je suis enfermée depuis près de trois ans maintenant. Mes enseignants ne cessent de louer mon intelligence qui, selon eux frôle le génie. Je souris et remercie, laissant mes joues encore un peu rondes s'empourprer. Ils me pensent timide et pudique ? Ils se trompent. Je sais ce que je suis et je sais, bien mieux qu'eux, ce que vaut mon intelligence. Brillante, je le suis assurément mais si génie je possède celui-là n'est pas inné mais acquis. Ce que je deviens, ce que je souhaite devenir je m'en donne simplement les moyens ! Si mes facilités m'aident grandement cela ne me dispense pas pour autant de cette application qui porte ses fruits puisque, à quatorze ans, je suis déjà en sixième année. Précoce et génie diffèrent mais pas pour eux. Ils sont tellement naïfs et aveugles !
Je ne suis pas une élève comme les autres mais, hormis le corps professoral qui prend soin de taire le secret qui nimbe ma petite personne, nul ne le sait. Mon identité n'est qu'un mensonge, un autre dans une vie qui en compte déjà tellement. Un prénom que je ne prise ni ne méprise, un nom français pour mieux taire mes origines nébuleuses. Officiellement mes parents sont décédés et je suis pupille de la nation. Et cet homme qui vient parfois me rendre visite est mon parrain. Je n'aime pas quand il vient. Nous n'avons jamais rien à nous dire. Il m'emmène dans le parc ou en ville déjeuner et faire les magasins. Il ne parle jamais de lui et cela m'arrange. Sa vie ne m'intéresse pas plus aujourd'hui qu'elle ne m'intéressait hier. Lui, en revanche, s'enquiert de la mienne et de mes études. Il semble fier de moi. Comme si je lui appartenais ! Comme si je lui devais quoi que ce soit dans ma réussite ! Satan que je le hais !
Il promet que le jour viendra où il reviendra me chercher et me ramènera chez nous. Qu'il m'expliquera alors tout ce qu'il m'estime encore trop jeune pour comprendre. Qu'enfin je le pardonnerais et que lui et moi pourrions enfin être un
père et sa
fille. Il parle, il veut. Je me tais, je ne veux pas. Mes parents sont morts, l'aurait-il déjà oublié ce mensonge qu'il a lui-même monté de toutes pièces pour mieux me cacher aux yeux du monde ! Je n'ai pas de famille Et je m'en porte très bien ainsi merci. Ma vie n'appartient qu'à moi ne lui en déplaise. Lui ? Il aurait du y réfléchir avant. Quand il m'a créée par exemple ?
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La Genèse d'ArianeJ'ai toujours posé le plus étonné des regards sur ces enfants que je voyais se presser pour courir se jeter aux cous de ces parents qui leur ouvraient si grand les bras et leur dispensaient baisers et attentions. Je n'étais pas jalouse, ce sentiment m'étant, comme tant d'autres, inconnu. D'après la rumeur et les ouvrages spécialisés et si sérieux, il paraît que le fœtus commence à éprouver et ressentir dans le ventre de sa mère. Quand elle lui parle et pose sa main sur son ventre rebondi pour mieux lui montrer son amour. Si cela est vrai alors pas étonnant que je frôle de peu la sociopathie ! Moi, je n'ai jamais eu le droit à cela... Moi, je ne suis qu'une aberration de la nature, une chose qui en ferait hurler plus d'un s'ils savaient ce que je suis réellement ! J'aurais pu en être traumatisée, et quelque part dans mes rares moments de lucidité et d'objectivité j'admets l'être. Un peu. Si peu. Disons que je ne me pose pas de question et cela vaut bien mieux.
Froidement, je dirais juste que je ne fus pas la première des
enfants de mon père. Des essais il lui en aura fallu plus d'un avant que je ne vois le jour ! Que je naisse ? Si l'on veut. Stefen est mon père. Ma
mère ? Sujet délicat... Disons qu'elle est morte. Lorsqu'il m'a arrachée, extirpée de ses chairs. Enfin... Même là je dirais pas qu'elle était vivante ! Stefen l'avait aimée, trop même. Au point de faire d'elle un être plongé dans un monde infâme où la mort et la vie flirtaient de la plus indécente des manières. Et dont il ne la libéra que lorsque je fus prête à voir ce monde qu'il voulait faire mien mais que je méprise.
Aujourd'hui il mépriserait sûrement celle que je suis devenue, accro au sexe, aux drogues en tous genres et parfaitement amorale. Qu'y puis-je ? La toute première leçon de la vie c'est lui qui me l'a donnée, inculquée.
« Le sexe apaise les tension et l'amour les provoque »Voilà pourquoi je n'ai jamais aimé, je n'aime pas et n'aimerais jamais !